Et si voyager devenait désormais une manière originale de contribuer à la sauvegarde de l’Amazonie ? Ce projet innovant – du nom de Vinte Quilos, en référence aux premiers “vingt kilos” de warana exportés hors du territoire brésilien en 1993 – est un tourisme responsable proposé par Guayapi et les Indiens Sateré Mawé. Bastien Beaufort, directeur adjoint de la marque, vous explique comment vous pouvez prendre part à la préservation de la biodiversité locale.
Pour commencer, pouvez-vous présenter Guayapi en quelques mots ?
B.B – Chez Guayapi, on importe et distribue des plantes d’Amazonie et du Sri Lanka, avec de très hauts critères sociaux et environnementaux, ce sont, en grande partie, des plantes issues de cueillettes sauvages. Notre entreprise existe depuis 1990 et a introduit la plupart de ces plantes sur le marché européen. On est, ce qu’on appelle, des bâtisseurs de filières : on construit des filières équitables avec des producteurs, puis on distribue leurs produits en leur garantissant des revenus justes. On fait partie de nombreux collectifs, notamment de Commerce Équitable France – dont le rôle est d’éduquer le public, les institutions mais également d’aider à la création de lois sur le commerce équitable – et l’ATES, le réseau national du tourisme équitable et solidaire. De plus, Guayapi est la seule entreprise qui travaille directement avec les Indiens Sateré Mawé, le peuple à l’origine de la découverte et de la domestication du warana, une liane sauvage qui donne naissance à des grappes de petits fruits rouges.
Comment est née cette idée de proposer des séjours ?
B.B – En Amazonie, les Indiens Sateré Mawé ont développé, depuis les années 2000, un écotourisme pour faire découvrir leur environnement et les activités liées à leur culture traditionnelle. Guayapi est un relais : on communique sur cet écotourisme auprès de nos consommateurs et on organise le voyage jusqu’au site des Indiens Sateré Mawé. On propose également des séjours écotouristiques au Sri Lanka, tout cela étant lié à des rencontres personnelles faites par ma mère, fondatrice de Guayapi, durant ses nombreux voyages.
Pourquoi parlons-nous d’écotourisme dans ce cas précis ? Qu’est-ce que ce tourisme a en plus ou en moins qu’un tourisme traditionnel ?
B.B – Je vais prendre l’exemple de nos productions à Maussawa Estate, au Sri Lanka. Le site est localisé dans les montagnes du centre, où se trouvent les peuples autochtones sri lankais. Ce qu’il faut savoir c’est que, lorsque le projet a commencé dans les années 2000, c’était une ancienne monoculture : la biodiversité avait quasiment disparu, très peu d’animaux s’y trouvaient.
« Avec le temps, il était donc primordial pour nous de travailler sur la reconstitution de cet écosystème dégradé. »
Nous avons donc œuvré sur la réhabilitation de ce milieu et nous avons mis en place notre label d’écoresponsabilité FGP qui garantit des cultures biologiques, mais qui va bien au-delà, en incluant des critères de biodiversité. Ce label certifie l’ensemble du terrain utilisé par nos producteurs, c’est-à-dire qu’il garantit au touriste un séjour au sein d’une réserve écoresponsable. Aujourd’hui, ce sont 20 hectares de terres complètement biodiversifiés, avec notamment 85 espèces d’oiseaux recensées. C’est une fierté pour nous d’avoir constaté la réapparition de toute cette faune et cette flore. Ce tourisme permet donc d’assurer des revenus supplémentaires aux producteurs afin de les aider à préserver la biodiversité de leur terrain, ce qui n’est pas forcément le cas lors d’un tourisme traditionnel. C’est un tourisme solidaire et responsable.
En parlant de biodiversité, j’ai été surprise d’apprendre que cet écotourisme amazonien, porté par le projet Warana à Vinte Quilos, permet de soutenir l’élevage d’abeilles mélipones. Pouvez-vous m’en dire davantage ?
B.B – Les mélipones sont des abeilles originaires d’Amérique, caractérisées par leur absence de dard et leurs ruches en pyramide. Elles sont différentes des abeilles d’Asie, d’Afrique et d’Europe qui appartiennent au genre Apis. Aujourd’hui, les nomenclatures internationales ne reconnaissent comme miel que la production des Apis alors que les mélipones en produisent également – on le définit, pour le moment, comme du nectar. De plus, elles sont extrêmement précieuses car elles aident à augmenter la production du guarana de 85% grâce à leur pollinisation. En 2001, le mouvement Slow Food a d’ailleurs reconnu 2 produits des Indiens Sateré Mawé comme étant des produits exemplaires (nommés produits sentinelles), c’est-à-dire qu’il faut activement soutenir : le guarana et le nectar des mélipones, ces deux produits étant liés. Au sein de la communauté, la présence de ces abeilles permet la production de miel, de propolis et de pollen qui servent à leur consommation mais également à leur assurer une autre source de revenus sur les marchés locaux. Actuellement, nous travaillons activement sur la reconnaissance de ce miel afin de pouvoir l’importer. À Vinte Quilos, des ruches sont en activité : les touristes peuvent découvrir cette production de miel. Ces abeilles sont un exemple concret d’animal préservé grâce au projet Warana.
Les ruches des abeilles mélipones sur le site de Vinte Quilos ©Guayapi.
Comment réussissez-vous à conserver de bonnes productions tout en préservant la biodiversité ?
B.B – Pour l’ensemble de nos productions, nous imposons le respect de la certification FGP. Ce label FGP signifie Forest Garden Products – produits de jardins forestiers – c’est une certification qui garantit que les produits sont bio, mais elle va bien au-delà : elle certifie également que les produits sont issus de cueillettes sauvages sur des terrains biodiversifiées. Concrètement, comment ça marche ? Dans le monde tropical, il existait ce qu’on appelait les jardins-forêts. C’était très différent de l’agriculture moderne : l’agriculture est une invention occidentale, née au sein de milieux tempérés au moyen-orient et qui s’est diffusée par la suite en Europe, partiellement en Afrique, et en Asie avec, par exemple, les rizicultures… Avant, l’Amérique, l’Afrique et l’Asie tropicale possédaient des jardins-forêts. Les habitants entretenaient de petits jardins autour de leurs habitats qui, de loin, ressemblaient à des forêts. En vérité, ces cultures regroupaient un mélange d’espèces utiles, alimentaires et médicinales, capable d’assurer une autonomie alimentaire : des tubercules, des palmiers pour faire de la farine alimentaires, des palmiers à sucre… Il y avait une très grande diversité qui a été complètement oubliée avec la colonisation au profit de l’agriculture telle qu’on la connaît aujourd’hui.
« Notre démarche est d’imiter ces jardins-forêts, et donc ces pratiques traditionnelles, en les croisant avec les approches scientifiques modernes. »
En anglais, on appelle cela Analog Forestry – la foresterie analogue – c’est un type de foresterie, qui va imiter la forêt mature. En Amazonie, par exemple, on parle beaucoup de forêts cultivées. Penser que l’Amazonie est entièrement peuplée de flore primitive est une vision en partie erronée : lors des premières colonisations, les Européens n’avaient jamais vu de forêts tropicales, ils ont donc assimilé les Indiens à des sauvages qui ne savaient pas cultiver. C’est faux. Les Amérindiens ont construit des diversités de cultures qui, avec le temps, sont devenues des forêts naturelles : à première vue, elles paraissent sauvages, mais elles sont en réalité d’anciennes plantations. Ces forêts analogues permettent également de reconstruire des écosystèmes dégradés : c’est le travail que nous avons entrepris au Sri Lanka en plantant des espèces qui imitent la culture architecturale de la forêt primaire. Cela permet également de recréer ses fonctions écologiques, c’est-à-dire évacuer du carbone avec la photosynthèse, créer des nuages, de l’oxygène avec l’évapotranspiration, laver l’eau par les racines, créer un sol vivant etc.
Concrètement, quel est le lien entre la foresterie analogue et la préservation de la faune sauvage locale ?
B.B – La foresterie analogue a été inventée par un docteur sri lankais du nom de Ranil Senanayake en réponse à la Révolution verte en Inde et au Sri Lanka. On a constaté, dans ces pays, un effondrement de la biodiversité aux endroits où se développaient des monocultures de céréales. Grenouilles, oiseaux, serpents, insectes disparaissaient : leurs micro-habitats étaient détruits. De manière générale, le bouddhisme condamne le fait de porter atteinte délibérément à la vie. La solution de ce docteur était donc de trouver un système qui devait imiter les forêts natives afin de recréer ces micro-habitats. En moins de 10 ans, on pouvait déjà apercevoir des résultats positifs en observant le retour de ces espèces en déclin.
« C’est incontestablement le futur de la planète si nous voulons continuer à cultiver tout en préservant la diversité animale. »
Sur le long terme, notre but est de recréer des forêts analogues un peu partout afin de reconstruire ces écosystèmes et revoir l’épanouissement de la faune sauvage. Au final, le travail de Guayapi est de montrer, qu’à travers la vente du guarana, on peut aider à la préservation de la faune et de la flore locale par la création de micro-habitats pour les animaux. On incite donc les producteurs, dans le cadre de la certification FGP, à mettre en place cette foresterie analogue qui reconstitue les écosystèmes primaires indispensables à la faune.
Malheureusement, peu de touristes font le choix de ces voyages écoresponsables pour le moment. Comment expliquez-vous cela ?
B.B – C’est assez coûteux de se rendre en Amazonie brésilienne car ce sont des endroits difficiles d’accès: il faut facilement compter 3-4 jours de voyage pour accéder au village des Sateré Mawé. De plus, cet endroit est toujours entouré de fantasmes qui alimentent les peurs. L’Amazonie ne correspond pas à l’image de l’enfer vert qu’on veut lui donner. Des hommes y cultivent la forêt et domestiquent leur environnement : c’est un endroit riche en civilisation et en histoire. Sur le long terme, on espère vraiment assister au développement de cet écotourisme car il peut vraiment apporter un revenu important pour les communautés locales et les aider à maintenir un écosystème sain, vivant et biodiversifié.
Sans parler du fait que l’Amazonie est un endroit en proie à de nombreux problèmes environnementaux, politiques et sociaux : déforestation, chercheurs d’or, braconniers, constructions de barrages, milices et trafics divers… Comment rassurer les touristes quant à leur sécurité sur place ?
B.B – Certaines terres, comme celles des Sateré Mawé, sont situées au milieu de l’Amazonie centrale, assez peu de routes et de villes se trouvent aux alentours : c’est difficile d’accès en somme, il n’existe pas vraiment de pressions environnementales. Évidemment, nous sommes très sensibles à tous ces problèmes car ils existent : il y a des chercheurs d’or, les coupeurs de bois, les projets de barrages -que le président actuel souhaite relancer- les braconniers… Il y a notamment des gouverneurs, placés par le président actuel, qui souhaitent relancer un projet de route annulé dans les années 70. D’une manière ou d’une autre, toutes ces choses ont des impacts négatifs sur la faune et la flore.
« C’est désastreux car on a le sentiment que l’on ne donne aucune valeur à la biodiversité. C’est aussi le grand combat de Guayapi : montrer que l’on peut protéger la biodiversité en lui donnant une valeur économique. »
Cela ne veut pas dire l’abaisser à l’état de marchandise, mais bel et bien lui donner une valeur juste pour que les consommateurs puissent avoir accès à de bons produits tout en garantissant un revenu honorable aux producteurs. Les Sateré Mawé ont toujours défendu leur territoire malgré les pressions. Il faut savoir que les Amérindiens ne représentent que 0,3 de la population brésilienne tout en possédant 13 % des terres, cela fait forcément des envieux. Par exemple, les Sateré Mawé possèdent l’équivalent d’un territoire grand comme la Corse. Pour le moment, ils ne sont pas directement concernés par ces problèmes. Les pressions sont les plus fortes au niveau des terres indigènes entourées par des zones déforestées, par exemple dans le Mato Grosso. Il suffit de regarder des vues satellitaires pour se rendre compte de toute la déforestation et des nombreux champs de soya qui apparaissent. La pression sur ces peuples est immense, certains se faisant massacrer dans le silence médiatique le plus total.
Pour en savoir plus :
Vinte Quilos : à la découverte des terres d’origine du Warana.
Les chiffres de la déforestation en Amazonie – Ledauphine.com
Par Leslie Anna D.